Les Chroniques du Tourisme

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Une cohabitation délicate : brûlage du goémon, production d’iode et tourisme

En 1811, Bernard Courtois, salpêtrier, isole une nouvelle molécule : l’iode, extraite de la cendre du varec’h encore appelé algue marine ou goémon...

Cette découverte va révolutionner la médecine en faisant considérablement progresser les méthodes et techniques d’asepsie grâce à l’utilisation de la teinture d’iode qui va, par ailleurs, donner d’excellents résultats dans le traitement des maladies de la thyroïde.

L’iode va également permettre à Nicéphore Niepce, en 1828, de mettre au point une nouvelle méthode de production d’images photographiques. En prenant comme support de l’argent poli et en faisant agir des vapeurs d’iode sur l’image au bitume il va en effet obtenir de véritables photographies en noir et blanc, sur le métal. L’iode va être également très largement utilisé par l’industrie du verre.

La Bretagne qui possède le plus vaste champ d’algues d’Europe va devenir le fer de lance de cette industrie naissante. La première usine d’iode s’installe au Conquet en 1829, suivie de beaucoup d’implantations sur toutes les côtes de Bretagne.

brulage goemon conquet
Scène de brûlage de goémon au Conquet. À l’arrière-plan, l’usine d’iode.

Ce phénomène d’industrialisation va faire vivre un nombre important de familles d’Inscrits Maritimes sur la côte léonarde. En effet, l’obtention d’iode suppose, en amont, un certain nombre d’opérations dont la pénibilité n’a d’égal que l’importante main d’œuvre qu’elles nécessitent: récolte des algues en bateau et sur les plages, séchage sur les dunes puis brûlage dans des fours afin d’obtenir des pains de soude qui vont être traités en usines.

Les fours, sorte de fosses de 10 à 15 mètres de long sont implantés sur les dunes sur lesquelles le goémon a séché. Le brûlage qui dégage d’épaisses fumées et est considéré par beaucoup comme très polluant et contraire aux intérêts de l’agriculture et du tourisme, peut durer plusieurs jours.

Fours à Goémon sur Callot
Fours à goémon en activité sur l’île Callot (Carantec). Vue aérienne, années 1930.

Le projet de construction, en 1910, d’une usine d’iode au lieu-dit Staol en Santec (qui ne devient commune autonome qu’en 1920) génère une réaction violente du conseil municipal de Saint-Pol-de-Léon qui interdit alors, par arrêté municipal, le brûlage du goémon sur toute la commune et donne pouvoir à la police municipale de dresser procès-verbal aux contrevenants.
Cette fronde contre le brûlage est menée par le docteur Louis Bagot, conseiller municipal de Saint-Pol-de-Léon et fondateur du premier syndicat d’initiative de Roscoff en 1906. Il défend non seulement l’intérêt des agriculteurs légumiers en concurrence directe pour l’exploitation de la ressource - le goémon étant utilisé comme amendement - mais aussi l’intérêt des professionnels du tourisme : hôteliers, restaurateurs, loueurs de biens et implicitement la thalassothérapie qu’il avait fondée à Roscoff en 1899.

La commune de Roscoff va, pour sa part, tolérer le brûlage dans l’extrême ouest de son territoire : île de Sieck et pointe du Billou - ceci avant que Santec ne devienne commune en 1920 - et L’île de Batz qui interdit cette activité en un premier temps, va ensuite la rétablir au vue du grand nombre de ses inscrits maritimes.

Une usine d’iode, la S.M.P.C (Société Maritime de Produits Chimiques), va s’implanter au Kernic en Plouescat en 1917.

Usine d'iode de Plouescat
L’usine d’iode de Plouescat. Paul Grijol «Au cœur, autour et au-delà de la baie du Kernic»

Créée grâce à des capitaux de la compagnie d’assurances la Séquanaise (devenue UAP), elle possède, en 1920, les moyens de fabrication les plus modernes, la plus forte capacité de production de l’époque et emploie une cinquantaine de salariés. Concurrencée par les mines de nitrate de soude du Chili qui assurent une production d’iode à des prix plus compétitifs, la SMPC ferme ses portes en 1955 non sans avoir marqué profondément l’économie et le paysage côtier de Plouescat.

Pilier de l’activité économique traditionnelle des côtes léonardes, le coupage et le brûlage du goémon le sont également de la culture musicale bretonne. En effet, la gwerz ar vezhinerien (complainte des goémoniers) reste un monument de cette forme musicale si originale qu’est la gwerz (chant breton souvent tragique) dans l’Armorique bretonnante.

Retrouvez la gwerz ar vezhinerien interprétée par Denez Abernot ou Denez Prigent

Auteur : Daniel Roué (animateur de la commission patrimoine, Office du tourisme du Léon).

Crédits photographiques : collection de cartes postales Olivier Sailly par François Le Gall / Photographie aérienne IGN Callot par François Le Gall/ Collection HeSCO.
Sources documentaires : travaux de l’abbé Quéméneur sur les délibérations du Conseil municipal de Saint-Pol-de-Léon.

Petite galerie d’images :

Kerga, Scène de brûlage du goémon, 1934. Fondation Ildys, Roscoff.